Introduction
Amazon, géant mondial de l’e-commerce, a une nouvelle fois créé un séisme dans l’univers de la publicité digitale. Entre le 21 et le 23 juillet 2025, l’entreprise a cessé brutalement toutes ses campagnes Google Shopping, entraînant la disparition complète de ses annonces des résultats sponsorisés dans le monde entier.
Si cette décision a provoqué un choc immédiat dans le secteur, elle ne constitue pas une première : Amazon a déjà mené des tests similaires par le passé, notamment lors de la pandémie de Covid-19, afin de mesurer l’impact d’un retrait temporaire sur ses ventes et sur le marché publicitaire. Mais cette fois, l’ampleur et la durée du mouvement semblent indiquer une réflexion stratégique plus profonde.
Assistons nous à un simple test, ou au début d’une reconfiguration du rapport de force entre Amazon et Google ?
I. Un séisme pour Google Shopping
1. Le poids d’Amazon dans Google Shopping
Amazon est depuis des années un acteur central de Google Shopping. Sa part d’impression atteignait jusqu’à 60 % aux USA, 55 % au Royaume‑Uni et 38 % en Allemagne. Les campagnes Shopping lui permettaient non seulement de drainer du trafic vers sa plateforme, mais aussi d’occuper l’espace publicitaire, limitant la visibilité de ses concurrents.
En réduisant progressivement ses dépenses au printemps 2025 (jusqu’à -50 % aux États-Unis), puis en coupant totalement en juillet, Amazon a provoqué un vide publicitaire inédit.
2. Un retrait brutal et mondial
En l’espace de 48 heures, toutes les annonces Shopping d’Amazon ont disparu. Les données Auction Insights ont confirmé une chute de 38-60 % de parts d’impression à… 0 %. L’impact a été immédiat : moins de concurrence dans les enchères, des CPC en légère baisse et un rééquilibrage du marché. Pourtant, aucune communication officielle n’est venue confirmer ou expliquer ce retrait.
3. Des précédents révélateurs
Amazon n’en est pas à son premier coup d’essai. Déjà en 2020, lors de la pandémie de Covid‑19, l’entreprise avait suspendu temporairement certaines campagnes Google Shopping, principalement pour gérer la surcharge logistique de ses entrepôts et évaluer l’impact sur ses ventes.
En 2018, une baisse ponctuelle de ses enchères Shopping avait été observée aux États‑Unis, vraisemblablement pour tester l’incrémentalité réelle des ventes générées par ce canal.
Entre 2019 et 2024, Amazon a aussi mené des tests ciblés en coupant certaines campagnes Shopping sur des segments précis (par exemple dans la mode ou l’électronique, et dans des pays comme l’Allemagne ou le Royaume‑Uni). Ces expérimentations avaient un point commun : elles étaient limitées dans le temps, géographiquement circonscrites, et visaient avant tout à mesurer le retour sur investissement des campagnes. Le retrait global et soudain de juillet 2025, lui, se distingue par son ampleur et sa portée mondiale — ce qui laisse penser que la démarche dépasse un simple ajustement budgétaire pour s’inscrire dans une stratégie de rupture beaucoup plus large.
II. Pourquoi Amazon a-t-il coupé Google Shopping ?
Plusieurs hypothèses non exclusives à cette coupure inédite.
1. Optimisation financière et amélioration du RO (retour sur investissement)
Amazon dépense des milliards chaque année en publicité, et une part significative de ce budget est dédiée à Google Shopping. L’une des hypothèses principales est la volonté de maximiser le RO (Return on Investment) et d’améliorer le compte d’exploitation. En stoppant ses campagnes, Amazon peut :
- Mesurer l’incrémentalité réelle des ventes générées par Shopping (ventes réellement nouvelles vs ventes cannibalisées).
- Réduire immédiatement les coûts publicitaires, améliorant mécaniquement sa marge.
- Recentrer ses investissements sur des canaux plus rentables
Cette logique “stop & measure” est classique chez les géants de la tech : débrancher un levier d’acquisition pour en évaluer la valeur réelle. Amazon cherche peut-être à prouver que sa dépendance à Google est moindre qu’on le croit, et que son trafic organique (SEO, notoriété, email marketing) peut compenser une part importante des ventes.
2. Pression sur Google pour renégocier la relation
Autre hypothèse : l’arrêt des campagnes serait un coup de pression sur Google. Amazon est l’un des plus gros annonceurs Shopping au monde, et ce retrait prive Google de revenus considérables. Il pourrait s’agir d’un moyen pour Amazon d’obtenir :
- Des conditions tarifaires plus favorables.
- Un meilleur accès aux données.
- Un rapport de force rééquilibré dans les négociations stratégiques.
En coupant net ses dépenses, Amazon rappelle à Google qu’il peut se retirer du jeu… et teste sa réaction.
3. Recentrage stratégique vers la recherche conversationnelle
Amazon a intensifié ses efforts en intelligence artificielle et en “search propriétaire” : lancement de l’assistant Rufus, partenariats avec Perplexity, amélioration d’Alexa.
L’objectif : créer un écosystème où l’utilisateur reste dans l’univers Amazon sans passer par Google. En coupant Shopping, Amazon accélère cette transition et réduit sa dépendance aux canaux externes.
4. Test d’incrémentalité
Certains analystes parlent d’un “test géant”. En supprimant toute présence Shopping, Amazon peut mesurer :
- L’impact sur les ventes globales.
- Les effets sur le trafic organique et direct.
- La réaction des consommateurs (se tournent-ils vers Google ou viennent-ils directement sur Amazon ?).
Un précédent existe : en 2020, des tests similaires avaient permis à Amazon d’évaluer le ROI de certaines campagnes et d’ajuster ses budgets.
5. Signal envoyé aux marques
Enfin, ce retrait envoie un message aux marques et aux annonceurs : Amazon Ads devient le terrain de jeu prioritaire. En réduisant sa présence sur Google, Amazon invite les marques à investir directement sur sa plateforme publicitaire, plutôt que de dépenser sur Shopping.
« Si moi je le fais, vous pouvez le faire aussi »

III. Les conséquences sur le marché publicitaire
Le marché publicitaire est (temporairement ?) recomposé, les conséquence sur les différents acteurs.
1. Sur Google Shopping et les CPC
La compétition dans les enchères s’allège. Les premiers retours montrent une baisse modérée des CPC, variable selon les secteurs et pays. Certains retailers rapportent une baisse de 5 à 15 %, d’autres n’observent aucun effet notable pour l’instant. Les prochains mois seront déterminants.
2. Sur les marques et retailers
Les concurrents directs d’Amazon (Walmart, Target, Zalando) profitent déjà de cette absence pour occuper l’espace publicitaire laissé libre. Les marques DTC (Direct-to-Consumer) voient aussi une opportunité stratégique : leurs annonces bénéficient de plus de visibilité, avec un CPC potentiellement plus bas.
3. Sur les vendeurs marketplace présents sur Amazon
Ce retrait n’impacte pas seulement Amazon lui-même mais aussi les millions de vendeurs tiers qui utilisent la marketplace comme principal canal de vente. Moins de campagnes Google Shopping signifie :
- Moins de trafic externe généré vers les fiches produits Amazon.
- Une dépendance accrue aux outils publicitaires internes (Amazon Ads) pour maintenir la visibilité ?
- Un besoin pour certains vendeurs de diversifier leurs investissements publicitaires (Search, Social Ads) pour compenser la baisse potentielle d’exposition.
Certains vendeurs craignent que cette décision pousse davantage de marques à investir en publicité sponsorisée au sein même d’Amazon, ce qui fera grimper les enchères et rendra la visibilité plus coûteuse pour tous les acteurs de la marketplace.
4. Sur les affiliés Amazon
Le retrait d’Amazon de Google Shopping crée également un espace stratégique inédit pour les affiliés Amazon. En l’absence des annonces directes d’Amazon dans les résultats Shopping, ces partenaires peuvent capter davantage de visibilité, avec des coûts publicitaires potentiellement plus bas. Les affiliés qui mènent des campagnes via Google Ads ou des comparateurs pourraient ainsi générer un trafic accru vers les pages produits Amazon, ce qui se traduirait par une hausse de leurs commissions.
Cependant, cette opportunité comporte des limites : Amazon reste très strict sur les pratiques publicitaires de ses affiliés (mots-clés autorisés, respect des règles du programme Associates), et un éventuel retour d’Amazon sur Shopping pourrait réduire cet avantage aussi vite qu’il est apparu. En attendant, les affiliés les plus agiles ont tout intérêt à tester des campagnes et à occuper l’espace laissé vacant — au moins temporairement.
5. Sur Amazon lui-même
Amazon prend un risque : moins de présence sur Google pourrait entraîner une baisse du trafic acquis via Shopping. Mais l’entreprise semble prête à tester sa capacité à générer du trafic par d’autres moyens : SEO, programmes de fidélité, email marketing, IA.
6. Sur Google
La perte d’Amazon est un coup dur : perte de revenus, perte de crédibilité vis-à-vis des autres retailers. Google doit surveiller la situation et envisager des incitations pour faire revenir Amazon ou renforcer l’attractivité de Shopping Ads.
IV. Scénarios possibles
- Retour d’Amazon sur Google Shopping avec des conditions renégociées, dans quelques semaines ou mois. C’est le pire cas pour les autres ecommerçants parce que ca avantagerait encore plus Amazon.
- Retrait durable et bascule vers un modèle “full propriétaire” : Amazon Ads, IA, SEO et fidélisation. C’est le cas le plus intéressant la place d’Amazon serait laissée vacante dans Google Shopping.
- Scénario hybride : Amazon revient, mais avec des investissements réduits et très ciblés.
L’arrêt d’Amazon sur Google Shopping est à la fois un choc et une expérience stratégique. Pour les marques, les agences et les retailers, c’est un moment charnière : la place qu’occupait Amazon dans Shopping est libre… pour combien de temps ?