Catégories
Perso

Les clichés narratifs au cinéma

On ne compte plus les fois où un personnage crie “Courez !” au lieu de… courir. Dans la vraie vie, il serait déjà mort, mais au cinéma, il survit au moins trois scènes, juste assez pour nous expliquer son traumatisme d’enfance.

Les clichés narratifs, c’est ça : de petites habitudes scénaristiques qui s’accrochent aux films et aux séries comme un chewing-gum sous une semelle. On sait que c’est sale, mais on les trimballe quand même.

Pourquoi ces clichés narratifs

L’efficacité du déjà-mouru

Le cliché narratif, c’est l’art d’annoncer la couleur… en couleur fluo. Un personnage tousse dans un film d’époque ? Pas besoin d’un diplôme de médecine : il est déjà condamné.

La fille qui refuse l’invitation à la fête ? Elle sera la seule survivante du massacre.C’est comme des panneaux routiers, mais pour le cerveau : attention, émotion à 200 mètres.

Et ils continuent de nous servir ça

Parce que ça marche. Et parce qu’un scénario, ça a besoin d’aller vite. Les clichés, c’est de la junk food narrative : ça cale, ça coûte pas cher, ça se digère tout seul.

Et puis, ça rassure le spectateur. Rien de plus confortable que de savoir à l’avance qui va mourir, qui va coucher avec qui, et à quel moment la voiture va exploser.

En prime, ça fait vendre : vous imaginez un film d’action sans la scène au ralenti où le héros marche devant une explosion ? Les producteurs, non.

Le plaisir de se faire trahir

Mais le meilleur, c’est quand un réalisateur prend le cliché, le caresse… et l’étrangle discrètement.

Dans Psycho, Hitchcock a tué son personnage principal au bout de 40 minutes. Les spectateurs ont crié au scandale, puis ont payé pour le revoir trois fois.

Dans Cabin in the Woods, Drew Goddard commence avec tous les clichés du film d’horreur… avant de révéler que tout est orchestré par un bureau administratif. Comme si on découvrait que Titanic était en fait un tutoriel sur les normes de sécurité maritime.

Les clichés qu’on supporte… comme une mauvaise habitude

Il y a ceux qu’on déteste et ceux qu’on laisse passer.

Le héros qui tombe amoureux en trois minutes chrono ? On se moque… mais on a payé pour voir ça.

Le policier “à deux jours de la retraite” qui accepte une dernière mission ? On sait qu’il est foutu, mais on aime la cérémonie macabre de sa dernière cigarette.

C’est notre contradiction : on veut être surpris, mais pas trop. La liberté, oui, mais avec les menottes en velours.

Le danger du tout-cliché

Un scénario qui ne vit que de clichés, c’est comme un corps nourri uniquement de sucre : ça donne l’impression d’énergie… avant le coma.

Et quand le spectateur devine toutes les répliques avant qu’elles ne soient prononcées, il ne regarde plus un film, il lit un manuel.

L’ironie, c’est que certains films se croient originaux alors qu’ils recyclent juste des clichés moins utilisés. Comme remplacer le baiser sous la pluie par un baiser sous la neige : ça reste mouillé.

Et nous, éternels complices

Au fond, on aime les clichés comme on aime les films de Noël : on se plaint, mais on les regarde chaque année. Ils nous donnent l’illusion de contrôler l’histoire, tout en nous laissant râler quand elle dérape.

Et parfois, quand un cinéaste ose briser ce contrat tacite, on sort de la salle à la fois vexé et admiratif.

Le cliché est donc à la fois notre doudou et notre bourreau. Et c’est peut-être pour ça qu’on retourne toujours s’asseoir dans la salle obscure : pour voir s’il va enfin nous lâcher… ou nous serrer plus fort.

Vous voulez des exemples de clichés narratifs, en voici

Film d’action

Explosion derrière soi

Le héros marche ou court au ralenti tandis qu’une boule de feu engloutit tout derrière lui. Si on cherche une origine, on trouve Terminator 2 ou Bad Boys II pour la version culte. C’est avant tout un effet de mise en scène : ne pas se retourner, c’est affirmer que l’explosion est “routinière” pour le personnage, renforçant son aura de coolness.

Le méchant bavard

Depuis James Bond, beaucoup d’antagonistes ne peuvent pas tuer le héros sans d’abord lui expliquer leur plan. Héritage des serials pulp et du feuilleton, où un long monologue permettait de combler le temps et d’exposer l’intrigue au public.

Les ennemis qui attaquent un par un

Ce cliché vient des arts martiaux au cinéma, en particulier des films hongkongais de Bruce Lee : laisser le héros se battre contre un adversaire à la fois permet de chorégraphier le combat et de mettre en valeur sa technique.

La chute rattrapée à une main

Un héros tombe dans le vide mais s’agrippe in extremis. Présent dans les sérials d’aventure des années 30, il crée un suspense visuel immédiat, même si physiquement… c’est souvent irréalisable.

Blessures ignorées

Le protagoniste se prend une balle à l’épaule et continue comme si de rien n’était. Héritage du cinéma d’action 70-80 où l’héroïsme se mesurait à l’endurance physique, façon John Wayne ou Stallone.

La voiture qui explose au moindre choc

Popularisée par les films d’action des années 80 (L’Arme Fatale), cette exagération dramatique vient du fait que les explosions sont spectaculaires à filmer et faciles à justifier… même si la réalité est très différente.

Thriller / Policier

Zoom et améliore

Dans Blade Runner (1982) ou NCIS, les enquêteurs agrandissent une image floue jusqu’à lire un reflet dans une pupille. Ce cliché est une pure invention, née dans les années 80 pour donner l’illusion que la technologie peut tout résoudre.

Profilage instantané

En observant un suspect pendant 10 secondes, le héros devine sa vie entière. Popularisé par Le Silence des agneaux et amplifié par des séries comme Criminal Minds, c’est un raccourci narratif pour rendre un détective “génial” sans multiplier les enquêtes annexes.

L’indice oublié

Un témoin revient plus tard avec une info cruciale qu’il “avait oubliée”. Hérité du roman policier classique, notamment chez Agatha Christie, pour relancer l’enquête à mi-parcours.

Filature trop proche

Les policiers suivent un suspect à cinq mètres derrière lui dans une ruelle… sans se faire repérer. Ce trope est un pur artifice visuel : il faut que le spectateur voie clairement les visages, donc pas question de filmer à distance.

Tableau avec fils rouges

Les bureaux d’enquête sont souvent décorés d’un grand panneau avec photos, coupures de presse et fils reliant les éléments. Ce code visuel, devenu un mème, s’inspire des vraies méthodes d’investigation mais est amplifié pour donner une impression de complexité.

Science-fiction

Aliens humanoïdes

Des extraterrestres qui ont deux bras, deux jambes et un visage humain. La raison est avant tout pratique : le maquillage et les costumes sont plus simples, et l’acteur peut exprimer ses émotions. Star Trek en a fait la norme.

Tout le monde parle anglais

Dans l’espace, pas besoin de traducteur. C’est un choix narratif pour éviter les sous-titres et garder l’action fluide. Parfois justifié par un “traducteur universel” dans l’intrigue (Star Trek, encore).

Réparer un vaisseau avec un tournevis

Dans beaucoup de SF pulp, la science est remplacée par de l’ingéniosité manuelle. Ce trope rassure le spectateur : peu importe la technologie, le héros reste un bricoleur accessible.

Invasion ciblée sur grandes villes

Les extraterrestres choisissent toujours New York, Londres ou Tokyo. Historiquement, c’est une contrainte budgétaire : filmer des monuments connus renforce la reconnaissance immédiate.

Hologrammes interactifs

Depuis Minority Report, manipuler des écrans en l’air avec des gestes amples est devenu un signe visuel de futurisme. C’est photogénique, même si peu ergonomique.

Cliché narratif au cinéma
Cliché narratif au cinéma

Fantastique / Heroic Fantasy

L’élu prophétique

Un héros ordinaire découvre qu’il est “l’élu” qui sauvera le monde. Hérité des récits mythologiques et religieux, repris massivement par Tolkien et Star Wars. Cela donne un arc narratif clair : initiation → épreuves → accomplissement.

Le mentor sacrifié

Le vieux sage transmet son savoir, puis meurt pour pousser le héros à agir seul. De Merlin à Obi-Wan Kenobi, cette disparition est une étape classique du “voyage du héros” décrit par Joseph Campbell.

L’arme légendaire

Objet mythique perdu depuis des siècles, que le héros trouve par hasard. Inspiré des quêtes arthuriennes (Excalibur) et des épopées antiques.

Sbires incompétents

Les troupes du méchant sont nombreuses mais ridiculement inefficaces. Héritage du théâtre médiéval où les méchants avaient toujours des acolytes comiques pour alléger la tension.

La bataille en champ ouvert

Deux armées se ruent l’une contre l’autre dans un espace dégagé. C’est une image issue des récits épiques et de la peinture historique, privilégiée au cinéma pour sa lisibilité visuelle.

Quand les cinéastes jouent avec les clichés narratifs

Le film joue avec le cliché et renverse les attentes du spectateur.

Film d‘horreur

“Ne pas aller à la cave”  

The Cabin in the Woods : les personnages le font quand même… mais on découvre que c’est parce qu’une organisation manipule leurs comportements.

Le tueur invincible

It Follows : la menace est lente, implacable, et passe littéralement d’une personne à l’autre comme une MST surnaturelle — plus psychologique que physique.

Final Girl

You’re Next : la survivante est loin d’être innocente ou inexpérimentée, c’est une combattante entraînée qui retourne les pièges contre ses agresseurs.

Romance

Couple qui se déteste au début 

La La Land : ils tombent bien amoureux, mais le film casse le cliché en les laissant suivre leurs rêves séparément.

Baiser sous la pluie 

The Shape of Water : la scène romantique se passe sous l’eau, inversant l’élément mais gardant l’émotion.

Le mariage interrompu 

Shrek : l’interruption ne ramène pas la mariée vers le “prince charmant”, mais vers un ogre, renversant totalement l’idéal classique.

Film d’action

Méchant qui parle trop

Skyfall : Silva parle beaucoup, mais c’est pour gagner du temps et exécuter un plan parfaitement calculé pendant la conversation.

Explosion derrière soi

The Other Guys : les héros ordinaires sont assourdis, brûlés et projetés au sol par la déflagration, montrant à quel point c’est irréaliste.

Les ennemis attaquent un par un 

John Wick : les adversaires attaquent de manière coordonnée et tentent réellement de submerger le héros, créant une tension plus crédible.

Thriller / Policier

Zoom et améliore

Blade Runner 2049 : le zoom numérique est lent, imprécis et nécessite plusieurs étapes techniques, ce qui rend la scène plus crédible.

Profilage instantané 

Zodiac : l’enquête piétine, les suspects restent flous et le spectateur ressent la frustration réelle des policiers.

Le coupable inattendu 

Knives Out : on révèle très tôt qui semble avoir commis le crime, mais le film décale le suspense vers le “pourquoi” et “comment” plutôt que le “qui”.

Science-fiction

Aliens humanoïdes 

Arrival : les extraterrestres sont de véritables entités étrangères à notre morphologie, obligeant à un vrai travail linguistique pour communiquer.

Tout le monde parle anglais 

District 9 : la langue alien est conservée, traduite à l’écran, ce qui renforce le réalisme.

Invasion des grandes villes 

Signs : l’invasion est racontée depuis une ferme isolée, sans images spectaculaires de mégalopoles attaquées.

Film fantastique

L’élu prophétique

Harry Potter and the Order of the Phoenix : on apprend que la prophétie aurait pu concerner un autre personnage, remettant en cause l’“unicité” du héros.

Mentor sacrifié 

Pan’s Labyrinth : il n’y a pas de mentor salvateur ; la protagoniste doit trouver seule sa voie, et la magie est ambigüe.

Sbires incompétents 

The Lord of the Rings (version livres) : les Nazgûl sont réellement efficaces et terrifiants, contrairement à de nombreux sbires comiques du cinéma.