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A l’ère post-SaaS le service remplace le logiciel

Depuis deux décennies, le modèle Software as a Service (SaaS) s’est imposé comme le standard de la distribution logicielle, transformant en profondeur la manière dont les entreprises accèdent, utilisent et paient pour des outils numériques. Pourtant, à l’heure de l’intelligence artificielle générative, de l’automatisation avancée et des interfaces invisibles, ce paradigme montre ses limites.

Une nouvelle mutation émerge : le glissement progressif vers un modèle où le logiciel s’efface au profit du service rendu. Désormais, ce n’est plus l’accès à un outil que recherchent les utilisateurs, mais l’exécution autonome d’une tâche ou l’obtention d’un résultat. C’est le fondement du modèle Service as a Software (SaS) ou plutôt Agent as a Service (Aaas). Cette transformation, portée par l’essor des agents intelligents et des architectures orientées intention, redéfinit non seulement les outils, mais aussi les modèles économiques, les rôles métiers et les enjeux stratégiques.

I. Problèmes : Les limites du modèle SaaS traditionnel

1.1. Le SaaS, une révolution devenue standard

Depuis le début des années 2000, le modèle Software as a Service (SaaS) s’est imposé comme la référence en matière de distribution logicielle. Le marché global est estimé à 317 milliards de dollars en 2025 (27 milliards d’Euros en France). Il a remplacé les anciennes pratiques de licence logicielle perpétuelle, en proposant une approche basée sur l’abonnement, l’accessibilité par navigateur et le déploiement cloud. Des entreprises comme Salesforce, Google (avec Google Workspace) ou Microsoft (Office 365) ont généralisé ce modèle.

Le SaaS a permis une adoption massive du logiciel grâce à sa souplesse, sa mise à jour centralisée, et ses coûts d’entrée réduits. Il a aussi permis aux entreprises de réduire leurs dépendances à l’infrastructure interne et d’externaliser la maintenance. Pendant deux décennies, ce modèle a semblé inébranlable.

1.2. Des limites structurelles

Pourtant, ce modèle montre aujourd’hui ses limites. Le SaaS, conçu comme un logiciel générique accessible à tous, souffre d’une faible personnalisation. Les utilisateurs doivent souvent adapter leurs processus au logiciel plutôt que l’inverse. L’abondance d’outils SaaS provoque également une fragmentation de l’expérience utilisateur : CRM, ERP, messagerie, marketing automation, support client, etc. Chaque logiciel a ses logiques propres, ses données isolées, et ses interfaces spécifiques.

En outre, la multiplication des abonnements engendre une explosion des coûts cachés. Entreprises et DSI se retrouvent à gérer un écosystème complexe de fournisseurs SaaS, souvent redondants, rarement interopérables. Cela entraîne une perte de maîtrise, aussi bien fonctionnelle que financière. L’entreprise moyenne gaspille chaque année plus de 135 000 $ en outils SaaS inutilisés, sous-utilisés ou dupliqués. Seules 70 % des fonctions de licence SaaS en entreprise sont utilisées (source : 9 statistiques sur le SaaS que votre organisation devrait connaître ).

1.3. Dépendance accrue aux géants du cloud

La centralisation du SaaS autour de quelques grands acteurs du cloud (AWS, Microsoft Azure, Google Cloud Platform) accentue une forme de dépendance technologique. Ces plateformes concentrent l’hébergement, la distribution et l’évolution du logiciel. Cette concentration pose des problèmes de compétition, mais aussi de souveraineté des données. Pour les organisations européennes ou publiques, cette perte de contrôle sur l’infrastructure pose des risques stratégiques majeurs.

1.4. Une ergonomie qui n’évolue plus

Malgré les améliorations d’UX/UI, le modèle SaaS repose encore sur une interaction utilisateur classique : menus, boutons, formulaires, tableaux. L’utilisateur doit apprendre l’outil, naviguer dans des interfaces parfois déroutantes, et comprendre les logiques internes du logiciel. Cette approche devient obsolète à l’ère où les interactions conversationnelles, les agents intelligents et les interfaces vocales deviennent possibles.

II. Solutions : Vers le modèle “Service as a Software”

2.1. Changement de paradigme : du logiciel à la solution

Le modèle “Service as a Software” (SaS) repose sur une idée simple mais révolutionnaire : ce que les utilisateurs recherchent, ce n’est pas un outil, mais un résultat. Dans cette logique, le logiciel devient un moyen d’atteindre une finalité, et non une fin en soi. Au lieu de fournir un tableau de bord pour gérer une campagne marketing, on fournit une campagne prête à l’emploi. Au lieu d’offrir un CRM à configurer, on propose directement une gestion automatisée de la relation client.

Cette approche redéfinit les frontières entre service humain, prestation digitale et logiciel. Elle ouvre la voie à une convergence entre technologies, automatisation et intelligence artificielle, au profit d’une expérience utilisateur simplifiée (AaaS).

Evolution du SaaS vers le modèle SaS / AaaS
Evolution du SaaS vers le modèle SaS / AaaS

2.2. L’intelligence artificielle comme catalyseur

L’accélération du développement des LLM (Large Language Models) et des IA génératives constitue le moteur principal de cette mutation. Des agents intelligents sont désormais capables de comprendre des consignes en langage naturel, de naviguer dans plusieurs systèmes logiciels, d’exécuter des actions et de gérer des processus entiers sans intervention humaine.

Ces “copilotes” ou “agents autonomes” transforment le mode d’interaction avec le logiciel : l’utilisateur décrit ce qu’il veut, l’IA le réalise. Cette automatisation démultiplie la valeur ajoutée perçue tout en rendant le logiciel invisible. Dans certains cas, l’interface disparaît totalement au profit d’une interface conversationnelle ou d’une API.

2.3. Verticalisation et contextualisation

Les offres SaS les plus avancées s’inscrivent dans des contextes métier précis : finance, santé, éducation, juridique, industrie. Loin d’être génériques, elles intègrent les règles métiers, les données sectorielles, les contraintes réglementaires, voire les pratiques locales.

Cette verticalisation permet de délivrer un service précis, adapté, contextualisé, sans passer par des paramétrages lourds. Elle favorise aussi l’adoption rapide car l’utilisateur retrouve ses références familières dans l’interface ou dans le résultat attendu.

2.4. Nouveaux modèles économiques

Avec le passage au modèle SaS, les logiques de facturation évoluent. On assiste à l’émergence de modèles à la performance, à l’usage (usage-based pricing), voire à la transaction (pay-per-action). Ce changement déplace la valeur vers le résultat obtenu plutôt que vers l’accès au logiciel.

Cette dynamique permet une meilleure alignement entre client et fournisseur, tout en favorisant des offres hybrides combinant logiciel, accompagnement humain et automatisation.

2.5. Cas d’usage actuels et pionniers

De nombreuses entreprises incarnent déjà cette transition :

  • OpenAI avec ses agents API et ses assistants IA qui exécutent des tâches complètes.
  • UiPath dans l’automatisation robotisée des processus (RPA).
  • Intercom ou Zendesk AI qui transforment le support client en service automatisé.
  • Notion AI ou Jasper dans la création de contenu assistée.

Ces cas illustrent comment le logiciel devient un moyen d’accéder à un service opérationnel, sans configuration complexe ni intervention technique.

Comparaison SaaS vs SaS
Comparaison SaaS vs SaS

III. Perspectives : Vers une ère post-SaaS ?

3.1. Vers la disparition de l’interface utilisateur

La logique SaS pousse à faire disparaître l’interface utilisateur classique. Le logiciel ne se présente plus comme une application à ouvrir, mais comme une capacité à invoquer. L’interaction se fait par commandes, API, langage naturel ou automation, souvent en arrière-plan.

Ce paradigme est porté par les architectures API-first et les agents IA. L’utilisateur ne navigue plus, il formule une intention. Le logiciel devient réactif, adaptatif, invisible.

3.2. L’agent logiciel comme nouvelle unité de service

L’émergence des agents logiciels (AI agents) change la nature du service. Ce ne sont plus des outils statiques, mais des entités capables d’agir de manière autonome dans un environnement donné. Ils orchestrent des services tiers, apprennent des résultats, ajustent leurs stratégies.

On peut imaginer des agents RH, marketing, comptables, opérationnels, qui prennent en charge des processus entiers. Ces agents sont configurables, audibles, et personnalisables à chaque organisation. Le SaaS devient une infrastructure pour agents intelligents.

3.3. Risques et zones d’ombre

Cette automatisation généralisée entraîne de nouveaux risques :

  • Opacité algorithmique : difficile de savoir comment une décision est prise.
  • Dépendance cognitive : risque d’appauvrissement des compétences internes.
  • Biais et erreurs systémiques : les agents IA peuvent propager ou amplifier des erreurs.
  • Responsabilité juridique : qui est responsable d’une décision prise par un système logiciel autonome ?

Il devient crucial d’intégrer des mécanismes de contrôle, d’audit et de transparence.

3.4. Enjeux de souveraineté et de régulation

Avec l’avènement du SaS, les questions de souveraineté numérique deviennent centrales. Les acteurs capables de développer, d’héberger et de contrôler ces services intelligents sont peu nombreux et majoritairement américains ou chinois.

Pour l’Europe, cela pose des questions stratégiques :

  • Maîtrise des infrastructures cloud.
  • Interopérabilité des services intelligents.
  • Réglementation (RGPD, AI Act).

Des initiatives souveraines et ouvertes sont nécessaires pour réduire la dépendance et garantir l’éthique des systèmes.

3.5. Quel futur pour le logiciel ?

Le SaaS n’est pas mort, mais il entre dans une nouvelle phase. L’avenir se dessine autour de services intelligents, personnalisés, invisibles. Le logiciel ne sera plus un outil à apprendre, mais un partenaire qui agit.

Plusieurs scénarios sont possibles :

  • Une généralisation des agents logiciels dans toutes les fonctions de l’entreprise.
  • Un basculement vers une “économie de la valeur” où l’on paye pour un résultat, non un accès.
  • L’émergence de systèmes auto-adaptatifs, interconnectés, réglementés.

Cette transformation est déjà en marche. Les organisations qui l’anticipent auront un avantage compétitif décisif dans les années à venir.