Dans son ouvrage « Tentative d’épuisement de l’avenir du futur » Rafi Haladjian propose de décomposer le processus d’innovation en couches sur le modèle des réseaux.
I. Le modèles des couches d’innovation
C0 – L’évolution naturelle
La technologie s’installe d’abord via une évolution naturelle
C’est à ce stade initial que naît le besoin d’une évolution technologique pour maintenir cette connexion continue.
C2 – Infrastructure technique en place
Voici la phase où les fondements techniques sont mis en place : protocoles, matériel, et premiers usages concrets.
Par exemple, le passage du Minitel à l’Internet (FranceNet) permet la diffusion massive et la commercialisation des technologies.
C3 – Simplification et adoption massive
Inspirée par Steve Jobs, ici l’innovation est orientée usages optimisés .
L’objectif : anesthésier toute résistance, en rendant la technologie si esthétique et facile qu’elle devient indiscutablement acceptable.
C’est la phase des “technologies à usage général” (general purpose technologies), comme l’iPhone ou les assistants vocaux, qui popularisent massivement une technologie.
C4 – Dérives et usages spécialisés
Une fois installées, ces technologies servent de base à des usages spécifiques, parfois problématiques (désinformation, surveillance, addictions…) .
Les “dérives” font partie du processus, tout comme la pollution l’est dans l’urbanisation.
Réflexion critique et futur
Haladjian anticipe une évolution vers un “Post-Web”, où l’information n’est plus massifiée mais choisie, personnalisée, générée en temps réel par l’IA .
Cette phase accentue la pertinence sur la quantité, marquant une rupture dans notre relation traditionnelle au web.
Ce modèle éclaire la façon dont, selon Haladjian, l’innovation n’est pas une succession de ruptures brutales, mais un processus fluide en couches successives. Chaque phase est indispensable à la suivante, y compris les excès.

II. Zoom sur la couche C3
La couche C3 correspond au moment où une technologie sort du laboratoire ou du cercle des experts pour devenir massivement adoptée. Ce n’est plus une affaire de technique pure : c’est une affaire d’usage, de design, et de désirabilité.
Il ne suffit plus que la technologie fonctionne, il faut qu’elle fonctionne pour tout le monde, sans effort.
Points clés de la réussite de C3
Simplicité d’usage extrême
Exemples : l’iPhone, le Nabaztag (lapin connecté de Haladjian), les assistants vocaux. C’est le moment où la complexité disparaît derrière l’interface. L’utilisateur n’a pas besoin de comprendre, seulement de cliquer ou parler.
Esthétique et affectivité
Le design devient un levier stratégique. Il ne s’agit plus de convaincre rationnellement, mais de séduire émotionnellement : un objet technologique devient un objet de désir.
Modèle d’appropriation inconsciente
L’innovation C3 s’impose non pas parce qu’elle est nécessaire, mais parce qu’elle est évidente. Cela passe par la suppression du choix : quand tout le monde l’utilise, résister devient presque asocial.
Standardisation et effet de réseau
L’acceptation massive crée des standards implicites : si tout le monde a un smartphone, tout service doit être pensé pour mobile. Cela renforce la centralisation et les géants du numérique (Google, Apple, Amazon).
Limites & Risques
Aliénation par la facilité
L’ultra-simplicité rend les utilisateurs dépendants de systèmes qu’ils ne comprennent plus. La perte de contrôle devient structurelle : « on ne peut plus faire autrement ».
Uniformisation
L’adoption massive conduit à une standardisation culturelle, où les marges d’innovation deviennent plus fines. Ce que Haladjian qualifie d’“épuisement” : tout devient prévisible et optimisé, mais sans surprise.
Technologies “invisibles” mais intrusives
Exemple : la reconnaissance vocale intégrée dans des objets domestiques. Ce que C3 gagne en ergonomie, elle peut le perdre en respect de la vie privée.
Le point de bascule
La couche C3 est le point de bascule entre invention et transformation sociale.
Elle permet de passer de la technologie potentielle à la technologie normale. Sans C3, il n’y a pas de révolution numérique réelle — seulement des gadgets.
Haladjian suggère que ce n’est pas la technologie qui change le monde, mais l’usage qu’on en fait et C3 est le moment où cet usage devient collectif, insidieux, et irréversible.